Explication décapante du conflit Berne-Jura
«Aux Bornes», titre retenu pour la traduction de «Nebenaussen»,
signée Christian Schmid, succulent ouvrage écrit sur
les Jurassiens et leur conflit avec les Bernois, sera lancé
samedi à Porrentruy. Au Marché de la Saint-Martin!
Un livre saucisse d’Ajoie IGP et toetché! Inédite,
cette promotion concoctée par Jean Richard, des Editions
d’En bas, et le traducteur Edouard Höllmüller, professeur
de langues retraité, a été approuvée
par l’auteur de cette singulière chronique des frontières.
A commencer par celle, franco-suisse, qui ceinture Les Bornes, hameau
sis à un jet de pierre de Damvant. L’ouvrage en cause
est si gouleyant et si savoureux qu'il a parfaitement sa place parmi
les produits du terroir. «Nebenaussen, raconte son traducteur
Edouard Höllmüller, m’attendait à la frontière
linguistique. ‹Il te faut lire cela›, m’a dit
une collègue alémanique en me tendant l’ouvrage.
Sitôt ouvert, je ne l’ai pas lâché avant
d’avoir tourné la page 222, la dernière. Un
coup de cœur si fort que j’écris aussitôt
à Christian Schmid pour lui dire mon admiration et ajouter
que je rêve de le traduire». «Continue de rêver!»,
répond-il. A peine secoué, Edouard Höllmüller
lui rétorque bientôt: «Je ne rêve plus,
je traduis!» «C’était pour moi, explique-t-il,
une sorte de devoir moral: cet ouvrage appartient au patrimoine
jurassien; je me devais de le rendre accessible aux francophones».
Mission accomplie de ma manière parfaite, aux yeux de l’auteur.
Le paradis des Bornes
Pourquoi ce livre? «Parce qu’il fallait que je l’écrive!»
rétorque Christian Schmid plus qu’il ne répond.
Un temps s’écoule et le fils du douanier Hans Schmid,
de Bolligen, entré en service à Boncourt et Buix avant
d’être attaché de 1950 à 1954 au bien
nommé poste frontière «Les Bornes», à
Damvant, explique que les années passées à
cet endroit, ont conservé un tel goût de paradis qu'il
n’a pas osé y toucher. Il avoue avoir vécu là,
jusqu’à ses 7 ans, la plus belle période de
toute son enfance et de sa jeunesse, sinon de sa vie. Le microcosme
des Bornes a eu pour lui les dimensions du monde.
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Au tournant du siècle, Christian Schmid, devenu journaliste
à la Radio alémanique DRS 1, ressent finalement le
besoin de se replonger dans ce paradis placé sous le boisseau.
Un retour aux sources qu’il explique par la fascination, «quasi
magique», qu’exerce sur lui la frontière. Jusqu’à
se dire incapable de vivre ailleurs que sur la frontière,
comme aujourd’hui à Schaffhouse.
Tout ce qui tourne autour des frontières entre les pays,
mais aussi entre les langues, les enfants et les adultes, les religions,
les sexes, «nous et les autres», les Jurassiens et les
Bernois, occupe une place importante dans sa chronique «enfantine»
des Bornes.
Berne-Jura, l’explication
Un privilège nous a permis de découvrir les épreuves
de l’ouvrage traduit. C’est un vrai bonheur de découvrir
Les Bornes, ses couleurs, ses saveurs, ses odeurs, ses gens et ses
bêtes, ses travaux et ses fêtes, racontés par
Christian Schmid, tout au long de sa petite enfance.
Difficile ne pas s’émouvoir avec lui devant la moissonneuse-batteuse,
la bouchoyade, le car de Porrentruy, la beauté de Sœur
Claudine et face aux portraits du peu commode chef de poste Choulat
et du rude paysan Juillard. Sans parler des facéties de son
fils Joseph. Et impossible de rester insensible à la manière
dont le petit Christian raconte la tragique histoire de la réfugiée
juive et son fils Jacob.
Avec aisance, l’auteur s’écarte de temps à
autre de la chronique pour philosopher sur les questions et problèmes
du moment. Et livrer par exemple ses sentiments sur le conflit Berne-Jura.
Il vaudrait la peine à ce propos de citer toutes les pages
au long desquelles le petit Christian et l’auteur rapportent
la conversation entre Fritz Stettler, l’homme fort de Bolligen,
et le douanier Hans Schmid à propos des relations entre Bernois
et Jurassiens. Un bref extrait pour conclure:
«Papa précisa qu’il ne voulait incriminer personne
et que les Jurassiens n’étaient pas des anges. Mais
ce qu’il savait à coup sûr, c’est qu’on
ne pouvait pas les transformer en Bernois. Et par-dessus tout, il
convenait de ne pas demander aux Jurassiens d’aimer les Bernois,
et réciproquement. Ce qu’ils avaient à apprendre,
c’est de se respecter comme égaux dans leur différence.
Et le sentiment de rester un peu étranger à l’autre
ne gênait en rien ce respect mutuel.» J. St. |